La Brèche

Après Cosmos et A.N.G.S.T, vous travaillez à un nouveau projet mêlant l’intime et l’universel, sous la forme d’un portrait d’artiste…
Clément Dazin : J’ai rencontré Mahamat Fofana en 2022 lors d’une résidence à La Brèche. Ma compagnie préparait L’Envers de nos décors, et lui faisait partie du spectacle de Guillaume Clayssen, Friendly ! J’ai tout de suite repéré ses capacités chorégraphiques et sa présence scénique, belle et puissante. En 2023, j’ai pensé à lui pour une performance en Grèce, à Eleusis, en remplacement d’un artiste qui s’était blessé. Et voilà que Mahamat se blesse à son tour ! Mais nous avons tout de même pu aller au bout de cette création, réalisée en quatre jours. Cette rencontre a mis au jour des évidences : nous allions travailler ensemble, si possible sous la forme d’un solo pour Mahamat. Un solo dans lequel il y aurait du texte, une forte présence chorégraphique et une partition acrobatique.

Mahamat, parlez-nous de votre parcours qui n’est pas commun dans le milieu du cirque contemporain…
Mahamat Fofana : Quand je suis arrivé en France, depuis la Côte d’Ivoire, j’avais neuf ans et j’adorais étudier. On me surnommait « la grosse tête » et je suis devenu… ingénieur en énergie solaire. L’acrobatie me démangeait depuis toujours, mais je ne voyais pas comment en vivre. J’ai commencé la capoeira en 2012 et, en 2014, on m’a proposé de danser dans un spectacle du festival d’Avignon pendant un mois. J’y ai vu plein de spectacles avec des artistes qui mêlaient les disciplines, et j’ai découvert le cirque contemporain et son grain de folie. De retour à Paris, je me suis inscrit aux cours du Cirque électrique. J’ai ensuite travaillé huit mois au Vietnam pour Bouygues mais, en 2019, j’ai pris une année sabbatique pour tenter d’intégrer une école de cirque. J’ai été pris à l’Académie Fratellini.

Vous co-écrivez ce « solo pour un acrobate ingénieur ». À quoi ressemblera-t-il ?
CD : Ce solo sera très dansé. Nous nous appuyons sur les qualités chorégraphiques du Mahamat acrobate, ses influences (dont la branche « krump » du hip-hop), et ses recherches « entre le fluide et le saccadé ». Sa danse est vraiment incarnée, avec des émotions qui se dégagent à chaque fois de son corps et de son visage. À ce point-là, c’est rare. Nous avons aussi l’envie commune de partir de textes et de les faire vriller. Il s’agira d’évoquer les étapes du deuil, déni, colère, impuissance, tristesse et acceptation, notions communes aux théories de l’effondrement : l’acrobate ingénieur établira le parallèle avec le deuil de la planète. Mais comment s’en emparer au plateau ? En partant de l’intime pour le rendre universel, en remplaçant les mots par le cri du corps silencieux de Mahamat.