La Brèche

Votre prochain spectacle est issu d’une ancienne recherche menée par vous-même au CNAC. Quel en était le principe ?

Inbal Ben Haim : C’est même un croisement de plusieurs recherches. Il faut savoir qu’Anitya est la version latine du mot sanskrit Annica et que, dans la philosophie bouddhiste, ce terme décrit la métamorphose constante de tout être vivant. Être un arbre, un animal ou un être humain implique une modification permanente, entre construction et déconstruction. D’où le sous-titre : l’impermanence. D’autre part, c’est mon agrès, la corde, qui m’a guidée dans cette recherche, même si elle est finalement peu présente. Je suis fascinée par ses caractéristiques géométriques : elle crée lignes et formes dans l’espace aérien pour aussitôt les effacer. Je retrouve ici une impermanence scénographique. Mon numéro de sortie du CNAC était basé dessus, inspiré par les compositions de Kandinsky et leur effet émotionnel.

Ces recherches vous ont même amenée à créer une technique particulière avec la corde…

IBH : J’ai en effet développé une technique de tricotage avec la corde lisse. Blessée à l’épaule, pendant ma formation, je cherchais à être dans l’air sans solliciter mon bras. Dans les stocks du CNAC, j’ai trouvé une corde de 40 mètres que j’ai eue l’idée de tricoter et de détricoter, en résonance philosophique avec l’impermanence de mon parcours d’émigration : j’ai grandi en Israël et j’habite en France depuis 13 ans. J’ai des amis et collègues palestiniens et Israéliens, et je suis mobilisée contre l’occupation. Depuis le début de la guerre, à l’automne 2023, je me dis que l’art, c’est bien, mais comment continuer à vivre et créer après et pendant un tel choc ? Que peut l’art face à l’injustice et la violence ? Peut-il nous donner force et lumière, et nous réunir dans un vécu commun ?

Face à l’horreur et à la guerre, où trouvez-vous une source de vitalité ?

IBH : Dans la nature, les forêts, dans leur force régénérante et dans l’entraide. Cette beauté ne s’arrête pas dans des périodes obscures de destruction : cela vaut donc le coup de célébrer ce monde, se rassembler et lutter. Comment cruauté et beauté peuvent-elles coexister ? Ce paradoxe m’a donné envie de commencer le spectacle par un moment de beauté, suivi d’une destruction (celle qui nous entoure), et voir ce qu’elle va devenir. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, dit Lavoisier. Oui, on détruit des choses, mais la matière ne disparaît pas. Que ferons-nous des débris ? Cette question me donne de l’espoir et l’énergie de m’engager. Anitya est à la fois un geste artistique et politique, questionnant notre responsabilité, notre mobilisation et notre possibilité de résilience.