La Brèche

Un jour, j’ai été me suspendre sous un pont, au-dessus d’un fleuve. Je suis restée rêver là, entre passants, péniches et navettes fluviales. J’ai observé que ma suspension générait de la perplexité, stimulait l’attention et opérerait comme un grand ralentisseur, insérant une brèche d’incertitude et d’hésitation dans le flux des événements.

Comme beaucoup, je vis avec la sensation d’être prise dans un flux de plus en plus rapide, dans l’élan d’une avancée irrémédiable conditionnée par l’habitude, excluant l’inconfort du doute et des questions. Je cherche alors les moyens efficaces de suspendre momentanément le flux et d’ouvrir des espaces de liberté où toutes les directions sont possibles. Il y a là le principe d’une indécision féconde, qui suspend le cours du monde et nous laisse agir librement.

Sur les reliefs de l’espace, en marge de l’agitation du monde, nous dessinerons les fines lignes de chemins encore inconnus.

 » [...] Les écrits Tim Ingold l’anthropologue des lignes, continuent de me nourrir. Comme il dit, le monde se compose avant tout non pas de choses, mais de lignes. La ligne, c’est un sens, un chemin, un dessin, des veines, un fil, une vie… La Spire est aussi un ensemble de lignes, la ligne d’un temps cyclique, ou un chemin escarpé, fait de hauts et de bas, jouant avec la Pesanteur et la Grâce pour citer Simone Veil.

Six « suspensives » goûteront à l’ascension, au suspend, aux descentes et au dépôt. Certaines étaient là dans Aléas, d’autres dans Ose. J’ai choisi uniquement des femmes parce qu’elles portent haut l’étonnement de nous faire découvrir les ressorts cachés d’une puissance discrète, non ostensible. Et puis l’art du tissage, art des lignes par excellence, est l’affaire des femmes. » Chloé Moglia