La Brèche

Vous aimez travailler en groupe, en troupe. Comment allez-vous procéder avec ces dix-huit personnalités, ces dix-huit jeunes qui pratiquent sept disciplines différentes ?

Alain Reynaud : Ce qui m’intéresse, c’est de voir où ils en sont. Je les ai rencontrés une fois au printemps et ils viendront à La Cascade passer cinq jours cet été. Je verrai là où ils ont envie d’aller, et ce qu’ils ont dans leur musette. Je vais travailler à les mettre ensemble. J’adore le collectif, j’adore voir, grâce au cirque, comment exister malgré les différences, comment le rhinocéros et la girafe se côtoient ! Dans le groupe, il y a une Danoise, une Cambodgienne, une Espagnole, deux Portugais, une Québécoise et douze Français, et chacun m’a raconté son parcours. C’est une grande chance, un beau métissage. Et malgré leurs disciplines différentes, beaucoup travaillent déjà en duo ou en quatuor, une autre chance. Il existe peu de solitude circassienne et on sent un vrai esprit de groupe.

Vous allez donc apprendre à vous connaître tous, avant même d’écrire le spectacle. Savez-vous à quoi ce dernier ressemblera ?

AR : J’espère que cela ressemblera à des gens qui ont rencontré quelqu’un, à ce qu’ils sont eux, ce que je suis moi. Je n’ai pas fait un casting pour pouvoir raconter une histoire. Ici, la règle du jeu est différente. Pour moi, c’est un cadeau de faire ça. Je suis très ému d’être mis à cette place. Et pour eux aussi, c’est un moment important, très regardé. Le temps de travail à La Brèche sera l’occasion d’observer chacun dans son numéro et sa discipline. Je ne serai pas seul dans l’aventure : je suis accompagné dans la mise en scène d’Heinzi Lorenzen, collègue acteur, clown et enseignant. Nous sommes déjà intervenus tous deux au CNAC. Nous aimons croiser nos savoir-faire. Nous aussi nous formons un duo. Je ne suis pas un solitaire dans l’âme, j’aime l’idée de famille.

Le clown n’est plus une discipline enseignée au CNAC. Le regrettez-vous ? Quel message allez-vous transmettre aux étudiants ?

AR : Je suis d’un temps, à l’ouverture du CNAC, où le clown avait vraiment sa place. C’était une discipline, ou une indiscipline, en tout cas un art qui était enseigné. Moi j’ai appris le métier de clown au CNAC. D’autres orientations artistiques et pédagogiques ont été prises, et l’art du clown ne s’invite plus dans l’école que par le biais de stages. Je le regrette un peu. Travailler le clown dans un environnement de cirque, c’est très fort. J’ai été formé au jonglage et à l’acrobatie, mais aussi au regard du clown. Les deux ingrédients du cirque sont l’engagement total du corps faisant face à la pesanteur d’un côté, et la soupape du rire d’un autre côté. À une époque où l’on veut nous coller les semelles au sol, peut-on encore être naïf, léger, et rire de soi-même ?