La Brèche

septembre 2019 / ITV réalisée par Emmanuelle Lemesle pour La Brèche

Dans votre prochain spectacle, Les paroles impossibles, vous cherchez « à dire ce que l’on ne peut pas dire. » Un défi voué à l’échec ?
Yoann Bourgeois : Je crois plutôt que ce dont on ne peut parler, c’est cela précisément qu’il faut essayer de dire. Et s’il y a une part d’impossible dans ce projet, je dirais que l’impossible en est justement le sujet. Je cherche quelque chose qui ne peut avoir lieu qu’en rapport avec son impossibilité. Le plan de la communication est l’endroit essentiel de ce conflit. La parole communicationnelle implique des rapports de forces que le langage poétique réussit à déjouer. La poésie est par nature hors pouvoir. C’est la nécessité et la grandeur de ce langage. Et cette grandeur est d’autant plus grande qu’elle a renoncé à gagner quoi que ce soit. Peut-être même se sait-elle perdue d’avance? C’est cela que j’aimerais manifester. J’ai depuis quelques années voué ma vie à la recherche sur la suspension. Les paroles impossibles seront en quelque sorte le manifeste de cette recherche infinie.

Et la forme que prendra ce manifeste sera celle d’un spectacle. Sera-t-il constitué, comme les précédents, de plusieurs saynètes ?
YB : Je ne sais pas encore. Je n’en suis pas là. La brièveté et la discontinuité de saynètes multiples permettraient en effet de résister à la tentation d’un sens souverain, ce qui a priori correspond à l’esthétique recherchée. Mais en matière d’écriture artistique, voilà ce que j’ai appris : mieux vaut ne rien savoir ! Au mois d’avril à La Brèche, je travaillerai à organiser l’espace qui pourra accueillir cette multiplicité d’échecs. Le personnage que je souhaite créer sera comme joué par le dispositif théâtral lui-même, plutôt que d’être joué par un acteur, comme c’est habituellement le cas.

Dans chaque spectacle, vous dites “vouloir saisir quelque chose du monde d’aujourd’hui”. Comment matérialiser cette envie au plateau ?
YB : Tous les éléments scénographiques seront ceux de la cage de scène, sans aucun décor issu du monde extérieur. Le micro sera l’élément central. Le micro est un élément décisif de la mythologie libérale, qui donne pouvoir et autorité à l’individu. Mais il semblerait que nous vivions une séquence historique nouvelle où glisse l’autorité. Tout nous indique en effet que quelque chose va détrôner l’individu, et faire du récit libéral une désuétude. Les algorithmes entraînent actuellement une obsolescence de l’homme minant l’idée de liberté individuelle. C’est une mutation civilisationnelle en profondeur et ce spectacle évoquera certainement la disparition de l’individu.