La Brèche

Edward Aleman Neisa, vous partagez avec l’autrice Eva Doumbia un questionnement commun autour du validisme. Expliquez-nous cette notion et pourquoi elle vous parle à tous les deux.
Je connais Eva Doumbia depuis plusieurs années. C’est une amie commune avec David Bobée, avec lequel j’ai beaucoup travaillé lorsqu’il était directeur du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen. Le 20 février 2020, Eva a été victime d’un accident à Abidjan (Côte d’Ivoire) lui causant de nombreuses fractures. Nous avons tous eu très peur pour elle. Percutée par une voiture, elle a subi plusieurs opérations et en souffre aujourd’hui encore. Un jour, au Cirque-Théâtre d’Elbeuf, elle me voit avec une béquille et me dit que je suis courageux parce que je joue malgré tout le spectacle. J’avais juste adapté mon personnage à ce qu’il m’était permis de faire physiquement. Il est vrai que nous, les circassiens, nous jonglons perpétuellement avec les blessures. Nous espérons seulement qu’elles ne soient pas trop graves et bien sûr, avec l’âge nous devons faire le deuil de certaines acrobaties. Avec Eva, nous partageons donc cette notion de corps vulnérable.
Elle a beaucoup travaillé sur elle-même auprès d’Elena Chamorro, fondatrice du CLHEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation), un mouvement militant anti-validisme dont le but est de lutter contre l’oppression que subissent les personnes handicapées. Grâce au dispositif Auteurs en Tandem, nous mettons nos réflexions en commun. Et comme je suis originaire de Colombie, Elena d’Espagne et qu’Eva a des origines maliennes, ivoiriennes et françaises, nous avons aussi envie de parler d’autres oppressions : l’esclavagisme et les discriminations liées à la couleur de peau, à la religion, etc. Le handicap, quel qu’il soit, est aussi synonyme de beauté, de fragilité, de force, de lutte, de vulnérabilité. Notre but est d’établir les liens entre racisme et validisme, et d’explorer leurs imbrications au quotidien.