La Brèche

Votre nouveau projet se situe à la frontière entre le spectacle, la conférence et le documentaire. Comment le définiriez-vous ?
Anna Tauber : Tout est parti d’une rencontre, à Toulouse, en 2017. Je m’intéressais déjà à l’histoire du cirque, et plus particulièrement à la rupture entre cirque traditionnel et cirque contemporain. Une voisine de ma grand-mère avait pour amie Suzanne Marcaillou, 85 ans, ancienne voltigeuse au cadre aérien. C’était une occasion rare de rencontrer une circassienne des années 50 et donc d’avant le cirque contemporain. Certains éléments m’ont vite intriguée : d’une part Suzanne et son partenaire (son mari Roger, décédé) n’étaient pas issus de la famille du cirque mais de la culture physique et, d’autre part, Suzanne a conservé énormément d’archives de sa carrière tout en n’en ayant jamais parlé à quiconque. Nous nous sommes revues : je l’ai enregistrée et filmée, sans aucune idée préconçue.

Suzanne et Roger étaient connus pour leur duo de cadre aérien, Les Antinoüs. Avait-il été filmé ?
AT : Malheureusement non. Leur numéro n’a jamais été filmé mais cela ne la rend pas triste : elle est fière d’appartenir “au cirque d’avant le cirque à la télévision”. Je lui ai soumis l’idée que des artistes d’aujourd’hui reprennent ce duo. Se souvenir des détails a été compliqué mais elle a accepté le défi. Les aléas (santé, Covid, etc.) n’ont rendu possible cette reprise qu’en 2022. Nous avons réalisé une vidéo mais je ne savais quelle suite lui donner : peut-être suffisait-il de l’avoir vécue ? J’ai beaucoup filmé pendant cette période : Suzanne bien sûr, mais aussi moi-même en train de mener mon enquête au long cours pour retrouver des images malgré tout. Que faire de cette matière : le cinéma n’est pas mon univers de cœur. J’ai donc imaginé une projection un peu spéciale.

Avez-vous défini ce que le spectateur pourra voir, finalement ?
AT : Ce n’est pas encore arrêté. Il sera plongé dans un documentaire mais d’un autre côté, il se passera des choses qui n’ont pas lieu dans un cinéma. La séance pourrait mêler des images et des éléments réels, comme la présentation du matériel de tournée que Suzanne m’a offert. On s’achemine vers une forme hybride, avec une projection et moi qui prend la parole. Je souhaite présenter ce spectacle dans des petits lieux : dans mon idée aujourd’hui, le numéro en question ne serait pas présenté systématiquement in situ. Ce qui constitue finalement le cœur de l’histoire, ce n’est pas de refaire ce dernier, c’est la rencontre avec Suzanne. À La Brèche je travaillerai le montage vidéo et la mise en scène de ce ciné-spectacle avec Fragan Gehlker, complice à la mise en scène-réalisation.

ITV réalisé en août 2022